Sérieux, tu me les brises, Juniper !

Aujourd’hui est un jour particulier. En ce jour de nouvelle lune, la famille de Blue a décidé de la célébrer en réunissant leur confrérie au sein de leur demeure. Il s’agit là de l’occasion d’accomplir un rite auquel la demoiselle ne souhaite absolument pas prendre part. Issue d’une famille de sorciers exerçant la magie noire, Blueberry s’est toujours sentie à part, n’adhérant pas à l’horreur et à la noirceur que requiert cette magie. Il est possible de faire de la bonne magie, communément appelée de la magie blanche. Alors, pourquoi choisir son versant et faire le mal ? C’est un mystère que la jeune femme n’a pas encore réussi à percer malgré ces vingt-quatre années passées au milieu des siens. Malgré l’influence de sa famille, la rouquine n’a jamais pu se résoudre à pratiquer cette magie. Elle s’est volontiers tournée vers l’autre, bien plus pure et bien plus belle, en son sens. Alors, participer à ce repas de famille n’est pas du tout sa priorité numéro un. Par ailleurs, elle est bien décidée à fuir au maximum ce qu’elle considère être une mascarade. C’est pour cette raison qu’elle se trouve actuellement enfermée dans la cuisine d’été de la demeure familiale. Quasiment personne n’y met jamais les pieds, et lorsque Blue a eu besoin d’un coin rien que pour elle pour pratiquer sa magie en paix, ou bien tout simplement cuisinier, elle a vite investi les lieux et en a fait son endroit à elle.

Sa famille n’a jamais compris ce qui a bien pu se passer dans l’esprit de Blue pour qu’elle soit défaillante. C’est la première fois qu’on entend parler d’une sorcière blanche au beau milieu d’une confrérie de sorcières noires. La demoiselle a bien conscience de ce qu’on dit d’elle dans son dos. Ça fait des années qu’on lui rabâche sans cesse les oreilles avec ça. Toute son enfance, les sorciers et sorcières de son coven se sont allégrement moqués d’elle à ce propos. Et pour couronner le tout, à défaut d’être une jolie sorcière blanche, Blue a le défaut d’être ronde. Autant dire qu’aux yeux de son coven, elle n’a absolument rien pour elle. Sauf qu’au bout de vingt-quatre ans, cela lui passe dorénavant complètement au-dessus de la tête. Bien sûr, pendant son enfance, toutes ces moqueries l’ont beaucoup touchée et fait pleurer à de nombreuses reprises, mais Blue s’est endurcie. À présent, elle n’écoute plus, et ne prévoit plus de se laisser toucher par toutes ces piques acerbes à son sujet. Elle est une déception pour sa famille, elle le sait. Rien ne pourra changer ça.

Un sourire ravi vient ourler ses charnues lorsqu’elle ouvre la porte du four pour sortir ses muffins à la myrtille. De la vapeur s’échappe de l’appareil, réchauffant un peu plus la pièce, tandis qu’elle enfile un gant pour se saisir de son moule. Elle dépose ses petites confections sur le plan de travail avant de les démouler et de les envelopper dans les tasses en papier prévues à cet effet. La bonne odeur de pâtisserie embaume, si ce n’est plus, la cuisine. Elle termine son petit ouvrage lorsque des coups sont donnés à la porte. Alors qu’elle se tourne, elle découvre la silhouette de sa grand-mère à travers le vitrier. Aussitôt, elle se dépêche de lui ouvrir la porte.

— Nana ? fait-elle, surprise de la trouver là.

Sa grand-mère pénètre dans la cuisine et observe quelques secondes les muffins encore tout chaud qui patientent dans un petit panier en osier.

— Tu n’es toujours pas prête, dit-elle. Nous n’allons pas tarder à commencer.

Une mine boudeuse vient se nicher sur les traits de Blue, arrachant un soupire à sa Nana. Cette dernière est sans aucun doute le seul membre de sa famille qui ne la considère pas totalement comme une ratée, et la seule qui éprouve à l’heure actuelle encore un peu d’affection pour elle. Sa propre mère a presque cessé de la regarder lorsqu’elles sont dans la même pièce. La déception est visiblement beaucoup trop grande pour qu’elle existe encore à ses yeux.

— Je suis vraiment obligée ? demanda Blue. Tu sais bien que je n’ai rien à faire dans ce genre de rassemblement. Je vais encore faire tâche, et je préfère vous épargner une énième humiliation…

— Écoute, ma petite… Tu n’es peut-être pas comme nous, mais tu es une sorcière. Et une Juniper. Ce nom t’accorde tous les droits d’être là, et c’est exactement ce que nous attendons de toi pour le moment. Alors vas t’habiller et rejoins-nous vite.

Nana replace une mèche de cheveux roux derrière l’oreille de sa petite fille avant de quitter les lieux. Blue prend une énorme inspiration et relâche lentement son souffle. Il semblerait que ce soit encore raté pour cette fois. Elle sait d’avance à quel point ce moment va être difficile à supporter alors que ce serait tellement plus simple si on lui accordait le droit de rester dans sa chambre, ou bien dans cette cuisine qui n’appartient qu’à elle. Elle se saisit de sa corbeille à muffins et prend la direction de la maison. Elle évite soigneusement les trop nombreux invités en passant par la porte de derrière et grimpe les escaliers jusqu’à la porte de sa chambre qu’elle ouvre en grand pour tomber nez à nez avec un torse vêtu d’une chemise et d’une cravate. Elle se fige presque sur le pas de sa chambre avant de relever la tête pour découvrir la mine contrariée de Malachai. Il ne manquait plus que lui !

Malachai est une énième farce de la part de sa mère et d’autres sorciers du coven pour tenter de lui faire entendre raison et la faire basculer vers leurs idées. Ils ont convoqué ce démon pour en faire son ange gardien ou quelque chose dans ce goût-là, jusqu’à ce qu’elle adhère enfin à la magie noire et délaisse la magie blanche. Parfois, elle se demande qu’est-ce qui a poussé ce démon a accepté un pacte pareil car cela fait maintenant plusieurs semaines que Blue est obligée de composer avec la présence de celui-ci, et il n’a encore fait aucun progrès. Toujours est-il qu’il est là, et qu’ils sont tous les deux prisonniers de cette famille.

— Bonjour à toi aussi, répond-t-elle. Et non, je ne suis pas prête.

Elle pose sa corbeille à muffin sur sa commode et se saisit de l’une de ses pâtisseries avant de la fourrer dans la bouche de Malachai avant que celui-ci n’ait le temps de faire une crise parce qu’elle est en retard.

— Je les ai fait moi-même, tu m’en diras des nouvelles, lance-t-elle en se dirigeant vers sa penderie pour l’ouvrir et trouver une tenue qui correspondrait à l’événement.

Autant dire tout de suite qu’elle n’en a pas beaucoup qui collerait à sa famille. Elle mord négligemment sa lèvre inférieure tout en inspectant quelques vêtements.

La motivation de Blue face à ce genre d’événement est aussi existante que celle de se résigner à user de magie noire. Elle aurait souhaité de tout son cœur pouvoir éviter ce rassemblement car elle n’y a pas sa place, malgré ce que sa grand-mère peut affirmer. Elle est le mouton noir de sa famille. Ou plutôt, le mouton blanc. Un agneau parmi les loups. La jeune femme n’a jamais compris pourquoi exercer la magie noire alors que la magie blanche permet tout autant et surtout, est bien plus saine et profitable. Avec la magie noire, il y a toujours une contrepartie. Avec la magie blanche aussi, mais les conséquences sont bien moins négatives. Les siens ont pourtant tenté de faire preuve de persuasion. A plus d’une reprise. Mais Blue a toujours campé sur ses décisions, faisant d’elle la recluse de la famille Juniper. Aujourd’hui, chacun est obligé de composer avec sa présence. Personne n’a le choix. Mais ça ne les dérange pas d’exprimer des médisances à son sujet, et ce, à la moindre occasion. “Blue a encore fait des gâteaux. Pas étonnant qu’elle soit aussi grosse à force de faire de la pâtisserie !” - “Ne mange pas tout, Blue. Tu as suffisamment de réserve comme ça.” - “Avec la quantité de gâteaux que tu dois t’enfiler par jour, ce n’est pas étonnant que tu ressembles à un boudin.” … Toutes ces paroles, Blue les a entendues au moins une fois dans sa vie. Le plus dur, c’est de faire abstraction de tout ça. Afficher une expression neutre, ou donner l’impression de s’en moquer totalement, ce n’est pas le plus difficile. C’est à l’intérieur que c’est le bordel. Parce que son physique n’a absolument rien à voir avec la pâtisserie qu’elle fait par plaisir, et par plaisir d’offrir. Certes, elle est ronde, certes, elle aurait tendance à être gourmande. Elle a des hanches, des gros seins, des grosses cuisses, des fesses proportionnelles à sa silhouette. Mais ce n’est pas forcément lié à la nourriture. Depuis la nuit des temps, être gros est synonyme d’appétit morbide. Alors que ce n’est pas une généralité. Peut-être que si Blue avait pu grandir et évoluer dans un coven de bonnes sorcières, elle rentrerait dans un 38 ? Ou peut-être pas ?

De mauvaises grâces, la jeune femme se rend dans sa chambre pour se préparer et rejoindre l’assemblée. Elle prend grand soin d’éviter les autres. Surtout qu’elle tient entre ses mains un panier de muffins encore tout chauds, et elle n’a guère envie d’entendre la moindre remarque à ce sujet. Surtout qu’elle ne les a pas confectionnés pour ces gens-là… Elle ne sait pas vraiment pour qui elle les a fait, puisqu’elle ne les a fait pour personne en particulier, mais elle n’a pas envie de voir ces gens baver sur son dos tout en mangeant ses petites créations. Tant qu’ils n’auront pas quitté les lieux, ils resteront tranquillement à l’abri dans sa chambre. En franchissant sa porte, elle tombe nez à nez avec Malachai, un démon chargé de veiller sur elle, et surtout veiller à ce qu’elle change de trajectoire. Si au départ, Blue a été particulièrement exaspérée par cette nouvelle lubie de la part de sa mère, elle a fini par se faire à la présence quasi constante de Malachai - même s’il râle beaucoup, et souvent pour rien. Elle essaie de voir le positif, dans tout ça. Depuis son plus jeune âge, la rouquine n’a jamais été liée aussi longtemps à quelqu’un. Elle n’ira pas jusqu’à dire qu’il est un ami par défaut, mais puisqu’ils doivent se côtoyer jusqu’à ce qu’il réussisse ce pour quoi il a été convoqué, autant essayer de faire en sorte que leur relation soit la plus calme et plate possible. Surtout que ce n’est pas demain la veille qu’il sera libre. Qu’est-ce qui l’a poussé à accepter cet accord ? Elle n’en a absolument aucune idée. Peut-être imaginait-il une mission facile… Sauf que dès le départ, il n’y avait aucune garantie. Il aurait dû s’en douter.

Aussitôt, il admoneste la jeune femme. Pas un bonjour, rien. Il est énervé. Elle le comprend aussitôt. La patience n’est pas la vertu principale de Malachai. Sauf qu’il y a bien une chose que Blue a très vite assimilé avec lui, c’est que tant qu’il râle, on peut considérer qu’il va bien. La demoiselle le contourne pour avoir accès à sa chambre, et bien évidemment, il ne tarde pas à lui faire savoir à quel point l’idée qu’elle n’est pas prête pour le rassemblement l’emmerde. Sauf que la rouquine a déjà anticipé tout ça et profite qu’il ait la bouche ouverte pour lui coller un muffin entre les dents et ainsi taire sa verbe. Après un petit sourire chafouin avant de se détourner et de se diriger vers son armoire afin de trouver une tenue qui lui permettrait de ne pas faire trop tâche au milieu de tous ces invités. Autant dire que c’est loin d’être facile puisqu’elle n’a quasiment rien qui colle au code vestimentaire du coven… Ce serait tellement plus simple si elle était née dans la bonne famille.

— Je sais, dit-elle en faisant glisser un cintre vers la gauche pour observer la tenue suivante. Mais la belladone peut toujours te faire vomir tes tripes et te laisser à l’agonie pendant une heure ou deux. Ce serait assez divertissant à regarder.

Le grand Malachai courbé en train de régurgiter tout ce qu’il a pu avaler : une image totalement fantasmagorique. Mais ce n’est pas pour rien que Blue fait mention de la belladone. Cette petite baie mortelle s’apparente grandement à la myrtille dont elle s’est servie pour confectionner ses muffins. Beaucoup de promeneurs confondent ces deux fruits et finissent par mourir d’empoisonnement.

Aucun vêtement n’inspire suffisamment la rouquine pour qu’elle la sorte de son armoire. Il faut bien avouer aussi que son manque d’envie n’aide vraiment pas à trouver l’inspiration. Et il semblerait que cela agace son ami démon qui ne peut pas s’empêcher d’émettre une remarque acerbe. A nouveau, Blue ne fait pas grand état de cette pique lancée dans le but de la blesser. Au bout de vingt-quatre ans, elle est rodée. Et puis, ce n’est pas comme avec ses proches. Elle n’a jamais essayé de se faire aimer du démon, ni appréciée. Il peut bien penser ce qu’il veut sur son physique. Lorsqu’il s’agit de lui, les attaques lui passent complètement au-dessus de la tignasse. Elle continue de faire glisser ses cintres sur la barre, hésitant quelque peu lorsqu’une tenue pourrait faire l’affaire. Elle sait que dans tous les cas, ça ne sera jamais satisfaisant pour les autres, mais elle ne peut pas faire mieux en si peu de temps. Elle a beau être une sorcière, elle ne peut pas sortir une tenue vestimentaire de son chapeau pointu, ni d’un sac sans fond comme Mary Poppins. La patience de Malachai est à nouveau mise à l’épreuve puisqu’il attrape la première robe qui lui passe sous la main et la lui tend. Ses yeux verts tombent sur un tissu noir à la découpe sobre. Sans plus attendre, il lui tourne le dos, visiblement pour lui offrir un peu d’intimité pour qu’elle se change. Il n’a pas l’air décidé à vouloir sortir de la pièce.

— Je suppose que je n’ai pas le temps de reprendre une douche, dit-elle en soulevant son pull pour le passer au-dessus de sa tête.

Si elle avait eu le temps, la rouquine en aurait pris une. D’aucun dirait que c’est inutile puisqu’elle en a pris une ce matin même et qu’hormis faire de la pâtisserie, elle n’a pas fait grand chose qui mériterait qu’elle doive à nouveau se laver. Tant pis, elle porterait sur elle l’odeur des gâteaux. Tournant à son tour le dos à Malachai, se retrouvant ainsi dos à dos, elle retire son legging et enfile la robe qu’il a choisi pour elle. Alors que le tissu glisse le long de ses courbes, elle passe une main dessus afin de lisser les quelques plis qui ferait mauvais genre et dépenaillée. Une fois vêtue, elle se dirige vers sa coiffeuse en bois et attrape une brosse pour démêler ses cheveux flamboyants et elle noue l’ensemble avec une tresse tout ce qu’il y a de plus simple. Dans le miroir, elle voit bien à quel point Malachai est un peu plus contrarié d’attendre qu’elle ait fini de se préparer. Mais bizarrement, ça amuse beaucoup Blue de voir cet air pincé sur son visage. Faisant comme si de rien était, elle attrape un pinceau et farde légèrement ses paupières. La demoiselle n’a jamais été une très grande passionnée de maquillage, mais l’occasion de faire traîner encore un peu plus en longueur ces préparatifs est bien trop tentante. Et puis, elle gratte aussi quelques minutes à la longue torture que s’annonce être cette réunion. Lorsqu’elle a terminé, elle attrape un rouge à lèvres carmin et le fait lentement glisser sur ses charnues pour les colorer.

— Est-ce que tu peux m’attraper ma paire d’escarpins noirs à bride ? Celle avec les gros talons.

Bon gré, mal gré, elle entend Malachai se mettre en mouvement derrière elle tandis qu’elle retire le surplus de rouge à lèvres à l’aide d’un mouchoir. Quitte à ce qu’il reste planté là, autant qu’il serve à quelque chose pour qu’elle aille “plus vite”. Elle se tourne vers lui et attrape sa paire de chaussures qu’elle enfile tout aussi tranquillement qu’elle a fait le reste.

Empoisonner les gens n’est pas dans les habitudes culinaires de Blue. Pourtant, nombreuses sont les recettes qui ont été pensées pour mettre fin aux jours de quelqu’un par le biais de la nourriture sans que cela ne se sente. Les pâtisseries sont le meilleur moyen. Personne ne résiste à une bonne petite douceur fraîchement sortie du four dont le fumet envahit les sens et réveille les papilles. Remplacer la myrtille par la belladone assure une mort rapide à celui qui l’ingère, et passe totalement inaperçu. Et même si Malachai ne peut pas mourir par ce biais, la jolie rouquine est persuadée qu’il en ressentira quand même les effets si jamais elle s’était montrée assez vicieuse pour faire des muffins empoisonnés. Mais aucun vice ne se trouve dans ces délicieuses pâtisseries. Il n’y a que du bon, et le démon peut bien râler autant qu’il veut, Blue sait qu’il aime bien manger ce qu’elle prépare. Depuis le temps qu’il est collé à ses basques par un serment avec sa famille, elle a eu l’occasion de le voir à quelques reprises en train de chaparder une ou deux parts lorsqu’il pense qu’elle ne le regarde pas. Lui enfoncer ce muffin dans la bouche avant qu’il n’ait le temps de lui envoyer une remarque acerbe vise autant à lui clouer le bec qu’à le lui donner. Un léger petit ricanement s’échappe de ses charnues lorsqu’il commence à légèrement détailler d’un œil nouveau la pâtisserie qu’il tient entre ses doigts et à qui il manque déjà un morceau. Puis, il doit sûrement se souvenir que Blue est Blue, et qu’elle n’a pas assez de noirceur en elle pour oser un tel sacrilège.

Trouver une tenue adéquate pour la réunion du coven n’est pas une mince affaire. La jolie rouquine n’a pas beaucoup de tenue pour les grandes occasions car elle préfère toujours s’habiller confortablement, mais aussi parce que les vêtements sombres ne font pas partie de sa garde robe. Elle en possède bien quelques uns, mais même sa robe noire la plus simple ne sera jamais suffisante aux yeux de sa famille. Pourtant, c’est celle-ci que Malachai sort de sa penderie lorsqu’il en a marre de la voir hésiter. Déjà peu ravi qu’elle ne soit pas déjà prête depuis longtemps, sa patience n’est pas suffisante pour laisser à la jeune femme le loisir de choisir. Et bien évidemment, le tout s’accompagne d’une jolie remarque sur son physique peu désirable. Quoi qu’elle porte, elle ressemblera toujours à un boudin. Elle l’a bien compris. Et elle n’en attendait pas moins de la part de Malachai qui saisit toujours une occasion pour le lui rappeler. Cependant, ces remarques la touchent beaucoup moins lorsqu’il s’agit de lui que lorsqu’il s’agit de sa famille ou des membres de son coven. Peut-être parce qu’avec lui, elle n’a pas cette envie d’être aimée et appréciée pour ce qu’elle est. Il ne sera présent dans sa vie que de manière éphémère, en théorie ; alors que sa famille… Et bien pour ce qu’elle en sait, ils seront présents toute sa vie, même si leurs relations ne sont pas toujours au beau fixe. Il n’y a qu’avec Nana qu’elle possède un véritable lien. Oh Blue sait parfaitement que sa grand-mère préférerait qu’elle adhère aussi un peu plus à leurs cultes, mais malgré ça, elle ne l’a jamais laissé tomber et consoler lorsqu’elle en avait besoin.

— Si tu veux que je me noie, une baignoire serait plus appropriée, tu ne penses pas, ô grand démon spécialiste du meutre ? réplique-t-elle avec une pointe d’ironie, tout en se débarrassant de ses présents vêtements afin d’enfiler la robe qu’il a choisie à bout de patience.

Malachai ne cache absolument pas son cruel manque d’envie de participer à la réunion de la confrérie de sorcière. Sa motivation doit être totalement identique à celle de la jolie rouquine, mais l’un comme l’autre, ils sont contraints à sortir de cette chambre, descendre et se joindre à la foule.

— Et pour te répondre, ces réunions ont pour but de montrer l’Unité du coven. Apparemment, des décisions importantes sont prises pendant ces journées. Mais tu te doutes bien que je suis rarement conviée au-delà du repas…

Et encore, si Blue pouvait se passer d’assister au repas, ça l’arrangerait. Pour entendre des remarques à chaque fois qu’elle porte quelque chose de comestible à ses lèvres ? Autant rester enfermée dans sa chambre à déguster un ou deux délicieux muffins. Mais la petite sorcière n’a pas voix au chapitre et si on exige sa présence, elle se blinde autant que possible émotionnellement, et affronte ce terrible instant avec autant de courage qu’il lui est possible d’en avoir. Et certains jours, c’est beaucoup plus difficile que d’autres. La rouquine tente de repousser le moment où elle devra franchir la porte de sa chambre. Alors elle prend son temps. Une fois sa robe enfilée, elle s’installe en face de sa coiffeuse et prend le temps de démêler sa chevelure flamboyante pour ensuite la tresser afin de ne pas apparaître trop négligée. Le reflet de Malachai dans le miroir trahit l’état d’impatience dans lequel il se trouve, et elle ne résiste pas à l’envie de pousser le vice un peu plus loin en se saisissant de son nécessaire à maquillage et à se pomponner un peu. Sa famille ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir fait d’effort ! Peut-être y verront-ils un pseudo signe que la demoiselle cède petit à petit aux normes et aux critères de leur coven et qu’ainsi, ils la laisseront un peu tranquille ? Elle termine d’appliquer les dernières touches de maquillage lorsqu’elle pousse le vice à demander au démon de lui donner ses chaussures. Elle retient un rire lorsqu’il la dévisage avec ses yeux aussi noirs que le néant. La première fois qu’elle a vu ces yeux-là, Blue a été prise d’un frisson d’effroi. Et petit à petit, elle s’y est habituée lorsqu’elle a compris que Malachai n’était pas un grand patient et que ses orbes sombres surgissent à la moindre occasion ; et ce n’est pas forcément pour la transformer en poulet rôti, puisqu’elle marche toujours parmi les vivants.

— Je n’oublie pas, ô grand Malachai. J’ose juste espérer que si tu me donnes mes chaussures, je serais prête plus rapidement que prévu.

Bon gré, mal gré, il lui donne ses chaussures. Non sans lui lancer un regard des plus démoniaques. Blue lui offre un sourire moqueur lorsqu’elle se saisit de sa paire et après avoir ajusté son rouge à lèvres sur ses charnues, elle les enfile tout aussi tranquillement que lorsqu’elle a appliqué son maquillage. Du coin de l'œil, elle le voit prendre un deuxième muffin et le dévorer avec le même entrain que le premier. Puisqu’il n’est pas déjà en train de se tordre de douleur tout en se tenant l’estomac, il n’y a plus aucun doute permis quant à la véracité des myrtilles qui ont servi à la recette. Un petit sourire ravi vient ourler les lèvres de la demoiselle. Elle est toujours ravie de voir les autres déguster ses petites créations. Cela lui met toujours un peu de baume au cœur. Blue est en train de terminer de fixer sa lanière autour de sa cheville quand Malachai reprend la parole et lui propose d’aller faire un tour. Toujours penchée en avant vers sa cheville, elle relève la tête vers lui. Quelques mèches de cheveux roux retombent devant ses yeux.

— Faire un tour ? Mais… Elle marque un léger temps de pause avant de comprendre le potentiel message que sous-entend cette proposition : Mais je viens de me changer…

Si aller faire un tour est synonyme de “viens, on se casse et on ne va pas à cette réunion”, Blue aurait aimé le savoir avant… Elle n’aurait pas enfilé cette robe, ni perdu son temps à s’apprêter. Pour aller faire un tour, elle aurait pu rester dans son pull trop large et son legging… Ses ivoires viennent mordiller ses charnues. Blue hésite à lui demander si elle peut se changer à nouveau. Elle a déjà beaucoup usé la patience de Malachai… Elle n’est pas certaine qu’il lui laissera encore ce temps.

— Où ça ? demande-t-elle néanmoins curieuse et surtout assez motivée par l’expectative de ne pas avoir à subir la réunion de sa confrérie.

Asticoter Malachai est devenu une habitude pour la douce Blueberry. Elle y prend bien davantage de plaisir qu'escompté. Pourtant, avant lui, jamais elle ne se serait permise d’avoir une langue aussi acérée et une répartie à toute épreuve. Si on interroge les autres sorciers de son coven, ils diront tous que la rouquine n’a pas assez de caractère pour confronter les autres et s’engager dans une joute verbale. Cela fait d’elle une victime idéale lorsqu’il s’agit de moqueries. Surtout celles qui concernent sa silhouette généreuse. Peut-être que si elle s’était montrée davantage piquante dès son plus jeune âge, elle n’aurait pas eu à endurer autant de moqueries ? Cela n’aurait pas empêché les autres de se montrer méchants dans son dos, mais elle aurait ainsi pu épargner ses oreilles, et peut-être aussi son coeur. Mais face à un démon, elle n’a pas ce souci parce qu’elle sait que venant d’une telle créature, elle ne peut pas en attendre moins. Ils ne sont pas réputés pour être gentils, alors quoi de plus normal que de se prendre des réflexions sur les sujets faciles ? Et puis, entre les démons et les sorciers de son coven, ce n’est pas le même affect.

Si avec lui, Blue a réponse à tout, Malachai ne se prive pas pour avoir réponse à tout également. Leurs joutes verbales peuvent durer longtemps, comme ça. Il y aura toujours l’autre pour trouver quelque chose à redire. Nana lui a un jour dit qu’ils lui faisaient penser à deux gamins en train de se bouffer le nez pour le dernier cookie restant, au lieu de tout simplement le partager en deux. La demoiselle n’a pas trop compris le rapport entre le lien forcé qui l’unie à ce démon, et les deux gamins qui se battent pour un cookie, mais face à sa grand-mère, elle n’a rien trouvé à redire. Il n’est pas dans sa nature de chercher à se prendre la tête avec le seul membre de sa famille qui la considère encore un peu…

— Charmed ? répète-t-elle avec un léger sourire amusé sur les lèvres. Malachai, je suis presque déçue d’apprendre que tu préfères passer ton temps à regarder des séries télévisées plutôt que de torturer de pauvres innocents dans ta cave. Finalement, le grand et puissant démon ne serait qu’une image ? Dis-moi que tu as pleuré devant le Titanic, je t’en prie !

Au fond d’elle, elle ne remet absolument pas en cause la puissance du démon. Elle sait très bien que s’il voulait, elle pourrait la réduire à néant en un claquement de doigts, et que sa magie ne sera jamais assez puissante pour empêcher cela. Mais Malachai se montre de plus en plus surprenant au fil du temps qu’elle passe en sa compagnie. Il lui apparaît davantage humain que tout ce qu’elle a pu croire au sujet des démons. Il y aurait ainsi donc la télévision en Enfer ? Ou alors, il a eu l’occasion d’errer sur Terre durant la décennie où la série télévisée racontant l’histoire de trois sœurs sorcières était populaire et suivie par des millions de téléspectateurs partout dans le monde. Blue ne fait pas exception, même si elle n’était pas née à cette époque-là, les rediffusions sont suffisamment nombreuses pour qu’elle ait eu l’occasion de regarder chacun des épisodes qui composent les huit saisons.

— Et moi donc ? réplique-t-elle face à verve sur les raisons de leurs présences à cette réunion de Coven. Je ne suis pas l’une des leurs. Enfin, pas totalement… Je suis obligée d’y aller parce que je suis une Juniper, et que Nana pense que c’est mon droit le plus noble.

Alors qu’elle préférerait mille fois rester dans sa chambre à faire tout autre chose : lire ou regarder la télévision (pourquoi pas un énième épisode de Charmed rediffusé ?) ou encore faire de la pâtisserie pour essayer une recette ? Tout aurait été bien mieux que d’assister à ce rassemblement. A-t-elle le choix ? Visiblement, non. Et Malachai se retrouve prisonnier avec elle parce qu’il a eu l’intelligence - ou l’idiotie selon les points de vue - d’accepter la mission de la mère de Blueberry : faire d’elle une sorcière usant de magie noire. Une quête vaine d’avance… La seule solution qui s’offre à la rouquine, pour le moment, c’est de retarder au maximum son heure d’arrivée. Elle prend son temps pour se préparer, faisant au passage enrager le démon dont la patience s’étiole à chaque seconde qui passe. Heureusement qu’il a les muffins pour patienter, sinon, il l’aurait sûrement déjà attrapé pour la traîner au rez-de-chaussée. Quitte à la porter sur son épaule comme un sac à patates - parce que même si elle pèse son poids, comparé à la force d’un démon, Blue est persuadée qu’il réussirait à la porter comme si elle était aussi légère qu’une plume. Mais elle ne lui demandera jamais confirmation. Ce serait lui offrir une énième carte pour l’attaquer sur son physique. Toujours est-il qu’elle repousse l’échéance au point de prendre le temps de se coiffer, un minimum, et de se maquiller. Son manque d’habitude se fait sentir car certains de ses gestes sont maladroits et elle doit recommencer à quelques reprises, mais elle arrive quand même à un résultat assez satisfaisant. Et quand enfin elle est prête, Malachai la surprend en lui proposant d’aller faire un tour. Blue a du mal à réaliser qu’il lui offre une corde de sortie maintenant, après tous les efforts qu’elle a déployés pour se préparer et essayer d’être présentable pour le coven… Sauf qu’elle est curieuse de savoir où est-ce que le démon peut bien vouloir l’emmener. Et pourquoi il lui propose ça maintenant ? Ne pouvait-il pas le faire avant ?

Il lui offre volontiers la possibilité de se changer, repoussant ainsi les limites de sa patience. La demoiselle met davantage de bonne volonté à se changer pour enfiler une tenue plus confortable, mais elle ne peut pas s’empêcher d’afficher une mine surprise lorsqu’il lui avoue souhaiter l’emmener chez lui. Un sourcil roux s’arque tandis qu’elle le fixe. Ses doigts dénouent machinalement les lanières de ses chaussures autour de ses chevilles. Et dire qu’elle vient à peine de les enfiler…

— Chez toi ? Elle se demande bien pourquoi il veut l’emmener chez lui. Que pourront-ils y faire de plus qu’ici ? Elle hausse les épaules puis reprend : D’accord.

Aussitôt, elle se détourne de lui, comme elle l’a fait précédemment, et se débarrasse de sa robe. Le tissu tombe à ses pieds et elle attrape son legging et son pull trop large qu’elle portait précédemment. Blue n’a aucune conscience que Malachai, dans son dos, est ouvertement en train de la regarder se changer. Elle est sûre qu’il s’est de nouveau tourné pour lui offrir toute l’intimité dont elle a besoin, et elle fait comme s’il n’était pas là. Elle dégrafe son soutien-gorge, faisant retomber ses seins lourds. La demoiselle déteste ce sous-vêtement qui s’apparente à de la torture. Mais elle ne considère pas avoir une assez jolie poitrine pour se permettre d’avoir le luxe de porter ce type de vêtement sans. En revanche, sous un gros pull, elle n’a aucune gêne. Elle vit très bien sans. Elle enfile ses vêtements et se tourne vers lui une fois vêtue. Comme elle le supposait bien, il lui offre son dos.

— Je suis prête, dit-elle en attrapant une paire de sneakers, tout en enfilant une paire de socquettes à ses pieds.

Blueberry ne voit aucune raison de perdre du temps à se démaquiller, et encore moins de défaire sa tresse. Pour le coup, elle n’est pas dans l’optique d’embêter davantage le démon. Cette fois-ci, ils sont tous les deux dans le même camp, n’est-ce pas ? Elle retrouve son équilibre sur ses deux pieds dès qu’elle a enfilé sa deuxième chaussure. Malachai lui tend la main, et sans la moindre hésitation, la jolie rouquine y glisse sa menotte. Les doigts chauds du démon sont chauds contre sa paume. Elle franchit le pas qui les sépare. Alors que son bras s’enroule autour de sa taille afin de rapprocher leurs corps, Blue pose une main sur son torse. Sa poitrine généreuse est légèrement pressée contre lui. Cette soudaine proximité rend la demoiselle très consciente de la plastique parfaite que Malachai dissimule sous ses vêtements. Non pas qu’elle ait pu un jour s’imaginer qu’il en soit autrement, ou même s’imaginer quoi que ce soit, en réalité. Elle évite de s’imaginer l’inimaginable. Elle relève la tête vers lui, et ses émeraudes viennent heurter ses perles d’océan. L’instant semble s’étirer dans le temps. Elle se perd dans ses cérulés. Et dans un souffle, sans un mot, il les téléporte chez lui.

La téléportation est une sensation très étrange. Blue a eu l’impression d’avoir été délitée pour être constituée la seconde d’après. Elle n’est pas certaine de pouvoir s’habituer à ça, surtout lorsqu’elle sent ses jambes fléchir légèrement. Ses doigts se referment sur le tissu de la chemise de Malachai pour lui éviter de terminer les fesses à terre, et elle sent son bras se resserrer autour d’elle pour lui éviter la chute. La jeune femme prend une inspiration soudaine pour retrouver un peu de contenance. Surtout que ses yeux n’ont toujours pas lâché ceux du démon. Cette téléportation n’a pris que le temps d’un battement de cils et pourtant, elle a l’impression d’être plongée dans une bulle hors du temps et que cela dure infiniment. Blue ne prête pas du tout une seule seconde attention au nouvel environnement dans lequel elle se trouve. Ce sont des grognements qui la ramènent à la réalité et aussitôt, sa tête se tourne vers un immense chien noir au masque de feu. Si l’instant d’avant semble s’être écoulé lentement, le temps a définitivement retrouvé ses droits et en une fraction de seconde, la jolie rouquine se retrouve légèrement placée en retrait, le corps de Malachai faisant barrière entre elle et le chien des Enfers, peu ravi de l’arrivée d’une étrangère chez lui.

On ne peut pas dire que Blue ait un jour eu peur des animaux. C’est même tout le contraire. Néanmoins, face à cet animal, elle ressent une certaine crainte. Sûrement parce qu’il ne s’agit pas d’un animal terrestre, malgré son apparence voisine. Le dit Kratos ne semble pas prêter la moindre attention à l’avertissement de son maître. Mu par sa propre volonté, le chien des Enfers se précipite sur la rouquine qui, d’instinct, recule et trébuche. Fesses plantées au sol, ses coudes lui offrant un appui pour ne pas se retrouver étalée, elle n’a pas le temps de voir cette silhouette massive lui arriver droit dessus qu’elle ressent déjà le poids de son corps sur elle, et le souffle de son haleine sur son visage. Ses yeux verts se ferment. L’espace d’un bref instant, Blue se dit que Malachai aurait pu lui offrir une mort plus douce afin d’être délivré de son serment envers sa famille, plutôt que d’être dévorée par son animal de compagnie… Elle attend cette morsure qui l’empêchera de se débattre et la douleur qui en suivra, mais au lieu de quoi, quelque chose d’humide lui lèche la joue une fois. Puis le visage de manière frénétique. Ses paupières se soulèvent et un léger rire lui échappe tandis qu’elle repousse la truffe humide du chien qui semble avoir changé d’avis sur elle.

— Bonjour à toi aussi, dit-elle après avoir réussi à dégager son visage de cette langue trop contente de la saluer.

Les joutes verbales avec Malachai ont quelque chose d’extrêmement distrayant. Avec lui, Blue a la sensation de pouvoir être elle-même, et ne pas faire preuve de retenue sur ce qu’elle a envie de dire. Cela la change de son quotidien avec son Coven où elle reste très souvent silencieuse face aux piques et aux attaques verbales qu’elle subit depuis des années. Plus d’une fois elle se retrouve à devoir se mordre la langue pour éviter quelques paroles malencontreuses de s’échapper de ses lèvres pulpeuses. Mais avec le démon c’est différent. Les enjeux ne sont pas les mêmes. Pour une sorcière, le Coven est très important. Sans, c’est comme se retrouver orphelin. Même si elle ne partage pas leurs idéaux, il s’agit, pour la plupart, de sa famille. Ceux dont elle partage le sang. Malachai n’est que de passage dans sa vie… Elle n’a pas d’enjeu à se taire. Au pire, il pourrait la réduire en centre, mais ce serait faillir à sa mission. La jolie rouquine est en sécurité avec lui, quoi qu’on en dise. Alors elle s’amuse à le titiller. Surtout que Malachai lui offre parfois le bâton pour se faire battre. Consciemment ou non. Mais les occasions sont toujours trop belles pour que la demoiselle ne s’en saisisse pas.

— Par Morgane, ta proposition pourrait parfaitement être introduite dans un remake de fifty shades of grey, badine-t-elle. Pense à postuler au casting.

Blue sait très bien que cette proposition n’a absolument rien de sexuel. Malachai lui a suffisamment fait comprendre que son physique ne lui plaisait pas, donc elle ne se fait absolument aucune illusion là-dessus. Et puis, ce n’est pas ainsi entre eux. Aussi beau et sexy soit-il, il reste un démon… n’est-ce pas ? Enfin, toujours est-il que si elle devait s’imaginer Malachai dans un cachot, se serait plutôt pour torturer de pauvres innocents et non pas pour prouver ses prouesses sexuelles. Mais l’occasion était trop belle pour laisser passer ça, et offrir un ton plus léger à cette conversation qui peut déraper à tout instant vers un concours de “celui qui a la plus grosse”. Elle ne fait pas non plus étal du fait qu’il l’a appelé Blue et non par un de ces surnoms ou autre appellation dont il aime l’affublé en règle générale. Il ignore totalement à quel point ce constat la ravie, et joue avec les battements de son cœur…

Au fil du temps qui passe, la rouquine a l’occasion d’apprendre à mieux connaître le démon et il se montre bien plus humain qu’elle n’aurait pu le penser de prime abord. Jusqu’à ce qu’il arrive dans sa vie, elle ne pouvait que se fier qu’aux idées reçues à propos de ces êtres issus des Enfers. A force de le côtoyer, elle apprend à le voir différemment. Et quelque part, ce n’est pas pour lui déplaire. Elle préfère passer du temps avec lui plutôt que de se retrouver entourée des membres de son Coven, surtout si c’est pour les écouter dire des médisances sur son compte. Blue est quelqu’un de bien plus émotif qu’elle ne le montre et chacune des railleries est un coup porté à son cœur. Parfois, elle se dit qu’ils ne peuvent pas dire pire, mais il faut croire qu’ils ne manquent jamais d’imagination la concernant…

— Je suis bien d’accord… soupire-t-elle.

Son ton reflète une certaine tristesse. Les réunions de Coven sont toujours des moments intéressants et très attendus. Mais pour Blue qui ne partage pas leurs idéaux, c’est une torture. Si elle était née dans une autre famille, elle aurait pu participer avec joie. Elle aurait même passé de bons moments avec les siens. C’est un aspect de sa vie qui lui manque et qui la fait souffrir silencieusement. Et c’est pour cette raison que la rouquine n’a pas besoin de réfléchir longtemps lorsque Malachai lui propose de s’enfuir avec lui. Esquiver cette obligation a une douce saveur de l’interdit qu’elle ne connaît pas. Elle trouve cette perspective excitante. Elle se doute bien qu’il y aura des retombées puisque ne les voyant pas arriver, il y aura fatalement quelqu’un qui viendra les chercher, mais elle se sent capable de gérer ça quand elle reviendra. D’autant plus qu’elle est certaine qu’elle ne manquera à personne.

Il la surprend en lui offrant la possibilité de se changer de nouveau pour enfiler sa tenue initiale. Et Blue ne se fait pas prier pour se changer et mettre un peu plus de bonne volonté à se vêtir de vêtements confortables plutôt que la jolie robe noire qu’il a lui-même sortie de sa penderie. Le meilleur moment, c’est lorsqu’elle libère ses seins lourds de son soutien-gorge. Elle n’aime pas en porter, elle ne se sent pas à l'aise avec ce carcan qui les compresse… Mais avec certaines tenues, elle est obligée d’en porter. Elle ne considère pas sa poitrine suffisamment belle pour avoir le luxe de porter une robe sans. Complètement inconsciente du fait que derrière elle, Malachai ne lui offre pas la même intimité que précédemment, Blue enfile son pull large. Une fois prête,  les doigts chauds du démon se referment autour de sa main qui semble minuscule dans le creux de la sienne. Ils vont se téléporter. La rouquine n’en a jamais fait l’expérience auparavant. Sa soudaine proximité avec le démon est légèrement perturbante. Les battements de son cœur se sont accentués. Aux yeux de Blue, il n’y a que les personnes en couple qui se tiennent comme ils le font actuellement ; c’est-à-dire, elle, pressée contre lui. Alors qu’il lui offre une étreinte ferme a de quoi la dérouter légèrement. Surtout qu’elle a douloureusement conscience de sa plastique parfaite… Ses deux émeraudes se perdent dans ses cérulés et Malachai en profite pour les téléporter chez lui.

Le voyage dure une seconde à peine, peut-être deux. Blue a eu l’impression que son corps s’est délité pour se reconstituer. Cela ne lui a pas semblé très agréable. D’ailleurs, ses jambes flanches. Ses doigts se resserrent sur la chemise de Malachai tandis qu’il resserre la prise de son bras sur elle afin d’éviter qu’elle ne termine au sol. Leurs regards ne se sont pas lâchés une seule fois, sauf le temps du trajet qui lui laisse une légère sensation de flou. Un peu comme un clignement d’yeux. La rouquine a l’impression de se retrouver dans une bulle hors du temps où il n’y a qu’elle et le démon existent. Alors qu’il penche la tête vers elle, la sienne se relève légèrement pour lui offrir sa bouche, mais un grognement les ramène tous deux à la réalité. Un immense chien noir leur fait face et il n’a pas l’air comode. Le temps semble reprendre ses droits et avant qu’elle n’ait pu réagir, Blue se retrouve placée en retrait, Malachai faisant barrière entre elle et le chien des enfers. Malheureusement, ce dernier a bien décidé de n’en faire qu’à sa tête, et sans qu’ils ne puissent faire quoi que ce soit, Kratos lui saute dessus. Guidée par son instinct, la rouquine ne peut que reculer, pour mieux trébucher et atterrir sur les fesses. Elle n’a pas le temps de bouger qu’un poids lourd la heurte et la plaque au sol. Elle se voit mourir dans d'atroces souffrances. Elle se dit que si le démon avait souhaité la tuer, il aurait pu choisir une méthode bien plus douce… Elle attend cette morsure qui la paralysera, mais au lieu de quoi, une matière humide et chaude vient lui lécher la joue. Un léger rire lui échappe. D’amusement ? De soulagement ? Les deux à la fois. Elle pourrait presque pleurer. Elle ne va pas mourir aujourd’hui… La jolie rouquine tente tant bien que mal de se dégager de cette marque soudaine d’affection. Malachai lui vient aussitôt en aide en terminant de repousser Kratos avant de l’aider à se remettre sur pied.

— Je suis soulagée qu’il ne m’ait pas mangé, moi…

A choisir, elle préfère cet accueil plutôt que celui qui lui promettait une mort lente et douloureuse. Kratos disparaît pour les laisser seuls, considérant sûrement que son rôle de chien de garde est terminé. Blue s’essuie la joue tandis que le maître des lieux retire sa veste et dénoue sa cravate. Les deux émeraudes de la demoiselle détaillent ces différents gestes sans la moindre pudeur. Elle se surprend à se dire que la vision de Malachai vêtu uniquement d’une chemise est on ne peut plus plaisante. Elle se perd rapidement dans ses pensées, mais est tout aussi vite ramenée à la réalité lorsqu’il lui demande de la suivre. Elle relève aussitôt ses yeux vers lui et s’exécute. Il l’emmène dans ce que Blue suppose être le salon. La décoration ne manque absolument pas de luxe et les appareils semblent tout droit sortis de la pointe de la technologie. Rien à voir avec la chambre de la rouquine où les meubles sont en bois ancien et la télévision datant d’une ère où c’est encore un miracle qu’elle fonctionne encore… Être un démon, visiblement, ça paye bien. La rouquine se tourne vers lui lorsqu’il lui explique par où trouver la cuisine et potentiellement les toilettes si jamais elle a envie. Elle hoche la tête tout en le regardant déboutonner les premiers boutons de sa chemise… Qu’est-ce qui t’arrive, Blueberry ?!

Dès lors qu’elle est seule dans le salon, elle s’accorde dix secondes pour reprendre un peu de contenance. Il faut qu’elle arrête de se faire des films comme ça. Ce n’est pas parce qu’il l’a tenu contre lui pendant leur voyage que cela veut dire quelque chose. Surtout qu’elle ne l’intéresse absolument pas. Et il ne l’intéresse pas non plus, n’est-ce pas ? S’il s’est montré sympa avec elle, c’est juste pour lui éviter la réunion du Coven. Rien d’autre. Après avoir pris une grande inspiration, elle quitte le salon et décide de trouver la cuisine. Elle tente de suivre les indications que Malachai lui a donné, mais force est de constater qu’elle a complètement oublié ce qu’il lui a dit… T’étais trop occupée à le regarder déboutonner sa chemise ! lui souffle une petite voix dans sa tête. Elle prend un autre couloir et constate qu’elle a trouvé la chambre du démon. Torse nu, il déboutonne son pantalon. Blueberry ne tarde pas à avoir une vision complète et panoramique de sa plastique plus que parfaite. Si elle l’avait deviné suite à leur proximité, là, plus aucun doute n’est possible… Discrètement, la demoiselle ne peut pas s’empêcher de l’espionner… Il est tellement beau. C’est sûrement le plus bel homme que Blue ait jamais vu. Et en même temps, t’en a pas vu trente-six ! Aucun, en fait. Elle n’a jamais connu d’homme dans sa vie. Alors comme première vision, on peut dire qu’elle tape déjà très haut dans la pyramide… Les fonctions cognitives de Blue se remettent en marche dès lors qu’elle voit Malachai rhabillé de manière décontracté et prêt à quitter sa chambre pour sans doute la rejoindre. La jeune femme effectue un magnifique demi-tour pour pouvoir s’enfuir en vitesse avant qu’il ne la remarque, mais elle trébuche sur Kratos qui s’était faufilé discrètemet derrière elle et s’étale au sol dans un grand ramdam. Affalée au sol, elle retient une grimace de douleur. Ça fait deux fois aujourd’hui qu’elle se retrouve par terre et ce n’est toujours pas une sensation plaisante. L’ombre de Malachai la surplombe. Pour une sortie en toute discrétion, c’est loupé…

— Oh ! Euh… Tu te demandes sûrement ce que je fais par terre ? Ben figure toi que je teste la commodité du sol, lance-t-elle en faisant mine de tapoter le sol. Elle se redresse : Très confortable. Tu l’as acheté où ?

Comment d’un simple échange de joutes verbales peut-on soudainement se retrouver à prononcer des paroles qui prêtent à une double interprétation ? Blue se le demande. Ils sont passés de la série Charmed à un potentiel remake de Fifty shades of grey en un claquement de doigts. Tout ça parce que Malachai a eu le malheur de parler de faire visiter son cachot à la jeune femme… Seulement, ce n’est pas tant ça qui déroute la rouquine. C’est surtout la réponse de Malachai qui l’invite à postuler avec lui pour être sa partenaire dans ce fameux remake imaginaire. Si elle n’était pas aussi déconcertée par ces paroles, elle aurait sans aucun doute piqué un fard. Et puis, connaissant le démon, il ne doit sûrement pas être sérieux. Pourquoi voudrait-il d’elle comme partenaire pour un film érotique ? Après toutes les remarques sur sa silhouette et sur son poids, Blueberry n’est certainement pas le genre de femme qu’il choisirait comme partenaire (et peu importe le genre de partenariat). Déjà qu’il est accroché à elle contre sa volonté, alors pour le reste, il aurait totalement raison de passer son tour. Mais pour le coup, elle ne trouve rien à répondre. Elle préfère se taire, noyant dans l'œuf cette conversation qui ne mène strictement nulle part. Ça vaut peut-être mieux comme ça.

Se préparer pour se rendre à la réunion du Coven a été une corvée que la jeune femme se serait bien épargnée si seulement Malachai avait eu l’idée de leur faire prendre la poudre d’escampette un peu plus tôt. Elle qui a pris le temps de s’habiller, de se coiffer, de se maquiller et même de mettre ses chaussures, la voilà en train de faire marche arrière et de remettre ses vêtements confortables. Au fond, elle est soulagée de se dire qu’elle ne va pas devoir subir cette assemblée. Ce serait différent si la rouquine avait été au beau milieu de sorcières usant d’un autre type de magie que la magie noire. Elle serait sûrement ravie de pouvoir discuter avec ses sœurs, de voir leurs papilles ravies après la dégustation d’une de ses nombreuses pâtisseries. Mais Blueberry n’a pas la chance de connaître ça. Elle subit davantage les railleries et les remarques acerbes sur sa magie et son physique. Pourquoi voudrait-elle donc s’infliger autant de mal ? Elle préfère encore laisser Malachai l’emmener ailleurs, peu importe la destination ; qui s’avère être chez lui.

Leur soudaine proximité lui laisse une sensation étrange. Jamais depuis ces derniers mois ils n’ont été aussi proches. A quelques mètres l’un de l’autre, oui, mais jamais comme ça. Jamais elle dans ses bras, une main posée sur son torse tandis que le démon a un bras autour de ses reins. Quel spectacle donnent-ils donc de l’extérieur ? Ses émeraudes se perdent l’espace de quelques secondes dans ses yeux cobalts. Blue perd la notion du temps. Son esprit n’est plus en mesure de réfléchir par lui-même. Elle n’est plus que sensation et lorsqu’il se penche vers elle, sa frimousse se relève vers lui pour lui offrir sa bouche. Cependant, il n’y a aucun contact car un chien des enfers se rappelle au bon souvenir de son propriétaire. Jamais de toute sa vie, la demoiselle n’a jamais eu aussi peur. Finir dévorée vivante est une fin bien trop douloureuse pour une créature comme elle. Seulement, le chien répondant au nom de Kratos semble changer d’avis sur sa manière d’accueillir l’intruse que représente la jolie rousse. Et cette dernière ne peut qu’en être soulagée de ne pas finir dans l’estomac de l’animal.

Malachai l’abandonne quelques instants pour aller se changer. Sauf que Blue n’a absolument rien écouté de ses explications car le démon a commencé à se déshabiller juste sous ses yeux. Et lorsqu’elle se retrouve seule et décide de trouver la cuisine, c’est totalement ailleurs que son exploration la guide car elle arrive face à la chambre de Malachai. La porte ouverte lui laisse tout le loisir de détailler son corps parfait. S’il subsistait encore le moindre doute dans son esprit, il a été balayé par cette vision. La jeune femme ne peut s’empêcher de penser qu’il est incroyablement beau. Son corps est parfaitement en corrélation avec son visage séduisant. Elle se surprend à penser qu’il est le plus bel homme qui lui ait été donné de voir jusqu’à présent, avant de se rappeler qu’elle n’a pas plusieurs points de comparaison. Blue n’a jamais connu le moindre contact intime. Et pour cause, qui voudrait d’une femme grosse dans son lit ? Et ce n’est pas comme si tous les hommes qu’elle connait appartiennent aux adorateurs du Diable… Et Malachai alors ? C’est un démon, non ? Est-ce que ça l’empêche de le mater ? Absolument pas.

Lorsqu’elle se rend compte que Malachai est rhabillé et sur le point de la retrouver, elle tente de fuir à toute vitesse. Sauf qu’elle trébuche littéralement sur Kratos qui l’a rejoint silencieusement et elle s’étale de tout son long sur le parquet du couloir. On repassera pour la discrétion. Affalée, elle grimace légèrement de douleur avant de se rendre compte que le démon la surplombe. Blue ne réfléchit pas une seule seconde à ce qui s’échappe de ses lèvres en guise d’explication à sa présence ici, et par terre. Elle ne rechigne pas lorsqu’il lui tend la main, et sa paume vient trouver la sienne, lui arrachant un frisson qui parcourt son bras. Elle se sent honteuse. C’est évident que Malachai n’allait pas croire une seule seconde à son excuse. Qui teste la commodité du sol ? Personne ! Elle aurait pu accuser Kratos de lui avoir fait un croche-pied, mais étant donné la façon dont il l’a accueillie tantôt, ce serait mentir que d’affirmer qu’il a souhaité s’en prendre à elle… Son cœur manque de s’arrêter avant de battre à toute allure dans sa poitrine.

— N… Non, je… je… j’étais…

Elle relève la tête. Son regard est littéralement happé par celui de Malachai. Elle n’est plus capable d’aligner deux mots. Ses joues sont en feu. Son visage doit aborder exactement la même couleur que ses longs cheveux orangés. La jeune femme essaie de retrouver un peu de contenance pour se sortir de l’embarras, mais le démon ne lui en laisse pas l’occasion. Ses lèvres se retrouvent capturées par les siennes et Blueberry se fige de surprise. Une sensation de bien être la parcours alors que la bouche de Malachai épouse la sienne avec une forme de délicatesse et de tendresse qui la met en déroute. Son premier baiser. Elle est en train d’offrir son premier baiser à un démon. Une partie d’elle est choquée, tandis qu’une autre répond à cette caresse. Son cerveau s’est littéralement fait la malle. Il a plié ses bagages et a décidé de partir très loin d’ici. Il ne lui reste plus que son instinct qui prend le contrôle de son corps et qui la fait profiter de la saveur de ses lèvres contre les siennes. Il a un goût de muffin à la myrtille… Quelle ironie que sa bouche ait le goût de son prénom… Et puis, soudain, elle recule. Ses émeraudes sont écarquillées. Elle porte ses doigts à sa bouche dont l’emprunte de celles de Malachai est encore vivace.

— Qu’est-ce que… pourquoi ?

Blueberry ne comprend pas pourquoi il l’a embrassé. Elle ne l’attire pas, il le lui a suffisamment fait comprendre. Il la trouve repoussante à cause de ses kilos en trop. Alors pourquoi lui a-t-il volé son premier baiser ? Elle est sous le choc, ce n’est pas un secret pour lui, car à cet instant, la rouquine est un véritable livre ouvert.

— Tu… Tu en as marre d’essayer de me corrompre en vain, alors tu t’es dit qu’en m’embrassant ça irait plus vite ? débite-t-elle lorsque cette possibilité effleure son esprit.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Blue a aimé. Un peu trop, d’ailleurs. Mais elle ne voit aucune autre raison qui ait pu pousser Malachai à faire ça… Un démon est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Peut-être en a-t-il marre d’être attaché à elle et qu’il essaie de se libérer de son serment plus vite que prévu ? Après tout, il a bien dû sentir que c’était perdu d’avance avec elle, et il n’a pas pour prétention de rester encore soixante-dix ans attachés à elle. Dans son esprit, c’est le bordel. Un véritable capharnaüm.

Depuis le premier jour, entre Malachai et Blueberry, c’est piquant et mordant. A ses côtés, elle s’est découvert une facette de sa personnalité qu’elle ne soupçonnait pas posséder à cause de son caractère bien trop soumis vis-à-vis de sa famille : le répondant. Entre les deux êtres, les répliques fusent à la vitesse de l’éclair. Malachai ne l’apprécie pas. Il le lui a bien fait comprendre à plus d’une reprise. S’il est obligé de la supporter c’est parce que la famille de la jeune sorcière a fait appel à lui dans l’espoir de réveiller la noirceur chez cet unique mouton blanc dans la bergerie. Il la trouve laide, aussi. Ses piques sur son poids et ses rondeurs ont été suffisamment éloquentes là-dessus. Blue, quant à elle, ne saurait pas réellement dire ce qu’elle pense du démon. On lui a collé dans les pattes, elle est obligée de faire avec. Qu’elle l’apprécie ou non, elle s’est faite à sa présence. Hormis qu’il a mauvais caractère, elle ne peut pas lui reprocher grand-chose d’autre. Elle ne peut même pas l’attaquer sur son physique puisqu’il fait partie des démons à l’allure séduisante et enchanteresse. Si encore il était vert et cornu, peut-être pourrait-elle l’attaquer là-dessus, mais c’est loin d’être le cas. Les femmes se retournent sur son passage. Et sans aucun doute Blue aurait-elle fait partie de ces femmes-là si elle l’avait croisé un beau jour dans la rue ; tout en songeant qu’un homme comme lui ne ferait jamais attention à elle à cause de ses rondeurs. Mais qu’y a-t-il de mal à rêver un peu ?

Alors qu’il la surplombe, la rouquine se sent mal à l’aise. L’intensité qui se dégage de ses yeux bleus la déstabilise et fait naître des sensations qu’elle juge inadaptées à son endroit. Certes, elle a eu un aperçu de sa plastique parfaite et peut-être que si elle avait eu une silhouette plus longiligne et l’âme un peu plus aventurière, Blue aurait tenté sa chance ; un peu à l’image de ces femmes sûres d’elle qui n’hésitent pas à foncer tête baissée pour obtenir ce qu’elles veulent. Mais elle est surtout consciente qu’elle a extrêmement peu de chance que Malachai la regarde un jour autrement que comme une empotée. La preuve, il a dû la ramasser pour la seconde fois dans la même journée. Mais cela n’explique absolument pas pourquoi le démon la fixe de cette façon, ni les frissons que sa proximité et le son de sa voix réussit à lui arracher. Blue se doutait bien qu’il ne la croirait pas lorsqu’elle a prétendu tester la commodité du sol. La déduction sur ce qu’elle était en train de faire n’est pas difficile, et savoir qu’il l’a prise la main dans le sac la fait rougir d’embarras. Elle tente malgré tout de se sauver la face, mais la manière dont elle bredouille l’enfonce encore davantage que si elle était restée silencieuse. Dans sa poitrine, son cœur à toute allure. Il cogne si fort que ça lui fait presque mal, comme s’il cherchait à s’échapper de son écrin. Ses yeux d’émeraude se retrouvent happés par le regard bleuté de Malachai. Les mots se confondent et se mélangent. Blue ne sait plus comment appréhender ce qui est en train de se passer.

Avant qu’elle ne puisse tenter le tout pour le tout, ses lèvres sont capturées par celles du démon. Une explosion de sensations la parcours tandis que la bouche de Malachai épouse la sienne avec une certaine tendresse qui la perturbe. Venant de lui, elle s’attendait à tout sauf à ce qu’il se montre doux. En réalité, elle ne s’attendait pas à être embrassée ! Surtout pas par lui. Qui aurait cru que Malachai serait son tout premier baiser ? Malgré le choc de la situation, Blue répond à cette pression exercée sur ses lèvres. Son corps a pris le contrôle sur son essence. Sa rationalité, elle, a décidé de se mettre en grève le temps qu’elle puisse apprécier à sa juste valeur la saveur des ses lèvres contre les siennes. La bouche du démon est douce, et elle a un léger goût de muffin à la myrtille. Elle lâche malgré elle un léger gémissement de plaisir et lorsqu’elle s’en rend compte, c’est la douche froide qui déferle. Choquée, elle recule. Ses doigts viennent se poser sur ses lèvres dont l’emprunte de celles de Malachai reste imprimée sur elle. Quand elle se sent de nouveau capable d’aligner deux mots, elle cherche une explication. Sauf que la réponse nonchalante qu’il lui offre ne la satisfait pas. Elle ne fait qu'augmenter la confusion qu’elle ressent. Blue est perdue. N’y a-t-il donc aucune véritable raison qui l’a poussé à l’embrasser ? Juste… comme ça ? Pour le fun ? Pour le plaisir de la perturber ? De jouer avec elle ? De mettre à mal ses sentiments ? Ou alors, est-ce qu’il en a marre d’être ainsi lié à elle et peut-être qu’il tente une autre technique pour la faire basculer vers la magie noire ?

Lorsque sa bouche retrouve sa capacité à former des phrases cohérentes, elle lui fait part de son raisonnement. Elle est confuse, perdue, désoeuvrée… C’était son premier baiser. Pour lui, ça ne veut peut-être rien dire, mais pour elle, ça veut dire beaucoup. Elle sait qu’elle n’a pas un physique avantageux. Ses hanches sont trop larges, son ventre est mou, ses jambes sont loin d’être sculptées, et ses seins sont si lourds qu’ils ne tiennent absolument pas tous seuls, mais elle espérait un jour mérité de recevoir un baiser par quelqu’un qui l’aimerait pour qui elle est, et non pas pour son enveloppe corporelle. Lorsqu’elle se regarde dans le miroir, Blue ne se trouve pas hideuse. Elle trouve même qu’elle a plutôt un joli visage, mais c’est bien le seul point positif de son apparence. Et étant donné sa vie affective proche du néant, la rouquine a fini par se considérer comme étant quelqu’un dont il vaut mieux regarder le contenu plutôt que le contenant. Un grognement finit par se faire entendre, et la jeune femme sait précisément qu’il provient de Malachai. Elle porte de nouveau son attention sur lui, et il affiche une mine contrariée. Ce démon-là, celui qui fait la gueule, qui grogne pour un oui ou pour un non, Blue sait le gérer. Pas celui qui l’embrasse sur un coup de tête. Elle s’attend à une des remarques acerbes dont il a le secret et qui remettrait un peu d’équerre tout le bordel émotionnel qu’il a fait naître dans son cœur et dans sa tête, mais au lieu de quoi, ils continuent de l’enfoncer dans sa déroute. Elle ne comprend pas ce qui peut être complexe dans son désir de l’embrasser. Pour elle, et son expérience en la matière, ça doit forcément vouloir dire quelque chose. Sinon, ce n’est que du jeu, un moyen de profiter de sa naïveté et dont la retombée sera fatale.

Quand enfin il se décide à lui exposer les raisons qui l’ont poussé à l’embrasser, un poing puissant vient se nicher dans sa poitrine pour venir compresser violemment son cœur. Si Blue évitait de se faire de fausses idées sur ce qui vient de se passer, maintenant elle est certaine que c’est loin d’être pour elle que Malachai est venu déposer sa bouche sur la sienne. Elle avait raison de se méfier, de se blinder autant que possible. Quelqu’un comme lui ne peut pas s’intéresser à quelqu’un comme elle. C’est impossible. Il y a les 10/10 et il y a les 5 ou 6/10. En général, on ne les mélange pas…

— Alors tu m’as embrassé uniquement parce que je t’inspire un sentiment de nostalgie ? souffle-t-elle.

Même si elle n’y croyait absolument pas, son égo en prend un léger coup. Sa gorge se noue malgré elle. Toute sa vie, Blue a été un vilain petit canard, avec très peu de chance de se transformer un jour en cygne. Elle a l’habitude d’être maltraitée et rabaissée par sa propre famille à cause de sa trop grande bonté et sa gentillesse. Ca l’a toujours énormément touché, mais elle a fini par s’y habituer. En revanche, elle ne s’attendait absolument pas à ce que ça lui fasse quelque chose venant de Malachai. Toutes les fois où il a tenté de l’attaquer et de mettre à mal sa propre personne lui sont totalement passées au-dessus de la tête. Alors pourquoi est-ce que les raisons de ce baiser lui font davantage mal que tout ce qu’elle a pu connaître jusqu’à présent, elle qui ne s’attendait à rien ?

La pression de sa bouche sur la sienne est à la fois délicate et sensuelle. Non pas qu’elle ait suffisamment d’expérience pour pouvoir comparer puisque Malachai est actuellement en train de lui offrir son premier baiser, mais les sensations qu’il fait naître en elle sont puissantes. Son cœur se met à battre bien plus fort, son souffle se coupe légèrement suite à la surprise de ce geste, et dans son estomac, elle a l’impression qu’une nuée de papillons vient de s’envoler et leurs ailes viennent chatouiller la moindre petite parcelle de son être. Avant de pouvoir réellement se rendre compte de ce qu’elle fait, Blue se joint à cette caresse tendre. Ses lèvres viennent se mouvoir contre celles du démon. Elle en apprécie sa douceur et sa saveur. Ça l'électrise de toute part, bien plus qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Un premier baiser est toujours synonyme de puissance. Et c’est Malachai qui en prend possession. Il s’insinue en elle, vient doucement l’envahir, déclenche le feu dans ses veines. C’est grisant. C’est bon. Si bon qu’elle en lâche un léger gémissement, mais lorsqu’elle s’en rend compte, c’est la douche froide qui la fait subitement retomber sur Terre. Ses émeraudes sont écarquillés tandis qu’elle porte ses doigts à sa bouche. Le contact de ses lèvres sur les siennes est suffisamment puissant pour qu’elle puisse les ressentir encore, comme s’ils ne s’étaient pas arrêtés. La rouquine ne comprend pas ce qui a bien pu se passer et elle cherche une explication à ce baiser échangé. Dans sa tête, c’est un bazar sans nom. Pour elle, il est inconcevable que Malachai ait réellement eu envie de l’embrasser, ou qu’il puisse d’ailleurs ressentir quoi que ce soit à son égard qui ne soit pas autre que de l’agacement ou de la lassitude à devoir se la coltiner jusqu’à ce qu’elle cède enfin à la magie noire. Ils n’ont pas ce genre de relation. La rationalité de son cerveau tente de la protéger d’une quelconque déception mûe par un espoir fugace que, peut-être, enfin, quelqu’un la regarderait pour la personne qu’elle est, et non pas pour son apparence physique. Blue n’est pas quelqu’un de vilain. Elle a un visage plutôt joli selon certains critères. Mais ses formes arrondies sont un frein à toute relation. Qui aurait envie de se montrer avec une grosse ? Certainement pas un homme dont la plastique est tout simplement parfaite.

Malachai semble contrarié de la situation. La jeune femme n’arrive pas à savoir ce qui a bien pu motiver ce baiser. Et lorsqu’il tente de lui expliquer le motif de son geste ne semble en rien améliorer le bordel qu’est en train de créer cette situation. C’est même pire finalement, car elle a l’impression qu’un poing invisible vient de pénétrer dans sa cage thoracique pour venir écraser son cœur. Dorénavant, Blue est persuadée que s’il l’a embrassée, ce n’est nullement pour elle, mais pour entretenir un souvenir lointain. Et en même temps, elle s’y attendait. Sa rationalité est loin d’être endormie. Et pourtant, c’est tout aussi douloureux que si elle avait souhaité n’écouter que son coeur. Son égo en prend un coup et sa gorge se noue. Les sanglots ne sont pas loin, mais elle les refoule aussi ardemment que possible. Malachai ne devrait pas l’affecter autant. Pas après toutes les fois où il l’a attaquée verbalement à cause de sa silhouette gironde. Mais là… il a franchi une frontière. Il a ouvert la porte d’une possibilité avant de la lui claquer en plein milieu de la figure. Heureusement pour elle que Blue a hésité à franchir le seuil. Sinon, la chute aurait pu être bien pire. Qu’elle prononce l’évidence semble contrarier encore plus le démon qui réfute son affirmation, comme si elle avait mal compris ses propos. Malgré cela, elle ne peut s’empêcher de se sentir triste. Son cœur est devenu bien trop lourd à porter. A cet instant, elle aimerait être n’importe où ailleurs sauf dans ce couloir, être loin de lui afin de pouvoir se ressaisir et oublier ce qu’il vient de se passer. Embrasser quelqu’un n’a pas la même signification pour lui que pour elle. Elle s’en rend bien compte. Blue est en train de puiser en elle le courage de lui demander de la ramener chez elle, mais les mots n’ont pas le temps de franchir ses lèvres. Le démon se rapproche et avant qu’elle ne puisse amorcer un mouvement de recul, il attrape sa main dans la sienne et il l’entraîne à sa suite dans la chambre qu’il vient de quitter. La rouquine se sent subitement mal à l’aise de se trouver dans cette pièce où quelques minutes plus tôt, il était complètement nu en train de se changer. Sans un mot, elle s'assoit sur le bord du lit. Elle aurait pu rougir, si finalement, elle n’était pas envahie par d’autres sentiments. Elle relève son regard d’émeraude vers lui tandis qu’il hésite sur la suite de la conversation. Et puis, finalement, il se lance, et elle l’écoute.

Pendant cet instant de confession, Blue en apprend plus sur Malachai qu’elle n’en a appris sur lui au fil des mois où il venait la hanter : son origine angélique, cette femme nommée Tamar qui a su se créer un chemin dans ses pensées… Une femme qui possèdait des traits communs avec elle… jusqu’à l’acte de trop qui a provoqué sa déchéance. La rouquine l’observe. Il est perdu dans ses souvenirs. Il ne semble même plus la voir, bien qu’elle se tienne devant lui. Ses beaux yeux bleus laissent place à des orbes obscurs. Ceux du démon. Blue les a déjà vu. Cela ne l’effraie pas. Ce qui est assez étrange, finalement, puisqu’elle aurait dû avoir peur. Même si Malachai pourrait la réduire en cendres d’un claquement de doigts, elle n’a jamais craint qu’il passe un jour à l’acte. Peut-être est-elle bien plus inconsciente qu’il n’y paraît. Elle laisse le silence durer. Au fond d’elle, elle a l’intime conviction que Malachai n’est pas arrivé au bout de son histoire. Lorsqu’il reporte son attention sur elle, ces ciels reviennent illuminer son regard. Il s’assoit à côté d’elle. Elle tourne la tête vers lui pour pouvoir continuer de l’observer. C’est aussi une façon de lui faire comprendre qu’il a toute son attention. Ses doigts viennent trouver quelques mèches de cheveux complètement échappés de sa tresse. Avec un peu plus de précision, il lui explique ce qu’il a trouvé en elle qui lui rappelle cet amour perdu depuis longtemps. Mais aussi ce qui la distingue. Ses paroles l’émeuvent bien plus qu’elle ne l’aurait cru. Même si Blue a l’habitude de jouer à celle qui s’en fiche de tout, elle est bien plus sensible qu’elle ne souhaite le montrer. A nouveau, sa gorge se noue à cause de tout le flux d’émotions qu’elle ressent. C’est beaucoup plus que ce que le corps humain peut recevoir. Il faut que ça sorte d’une façon ou d’une autre. Elle a à peine conscience que les larmes sont en train de s’échapper de ses yeux verts lorsque les doigts de Malachai viennent se poser sur sa joue puis caresser sa lèvre inférieure. Elle a longtemps espéré entendre un jour ces mots. Elle n’y croyait plus. Pourtant, elle n’a que vingt-quatre ans, mais par moment, elle se sent bien plus vieille. Il faut dire aussi que depuis qu’elle est née, elle n’a l’impression d’avoir sa place nulle part. Son regard d’émeraude se perd dans ses azurs. Et elle le voit. Celui qui s’appelait Cassiel. A cet instant, il n’est plus Malachai. Il est cet ancien ange qui à un jour aimé une femme et à qui on a arraché les ailes pour cela. Il se montre presque à nu devant elle, et malgré cela, ainsi que toutes les belles paroles qu’il a prononcées, elle n’est pas certaine qu’il l’ait embrassé pour les bonnes raisons.

— Peux-tu me promettre quelque chose ? demande-t-elle alors.

Ce qui va suivre lui coûte énormément et peut-être que cela mettra à mal ce qui la lie à lui, mais tant pis. Blue refuse de souffrir inutilement. Elle préfère mille fois finir sa vie seule avec ses kilos en trop que d’être un jouet entre les mains d’un homme, qu’il soit humain, sorcier ou démon. Lorsqu’elle obtient l’assentiment de Malachai, elle prononce ces mots qui lui brûlent les lèvres et qui provoqueront peut-être un incendie :

— Ne m’embrasse plus si cela ne veut rien dire pour toi.

On ne peut pas dire que Blue n’ait pas apprécié d’être embrassée. C’est d’ailleurs tout le contraire, même si cela revient à ce que Malachai lui ait volé son tout premier baiser. C’était à la fois doux, et aussi enivrant que le plus fort des alcools. Si elle n’avait pas possédé un minimum de maîtrise sur sa personne, elle aurait pu littéralement fondre entre les bras du démon, prenant absolument tout ce qu’il était prêt à lui donner. Mais la malice et le doute sont des poisons qui s’infiltrent dans ses pensées pour lui rappeler qu’une fille comme elle ne peut pas être embrassée par un aussi bel homme, peu importe sa nature. Les belles personnes sont forcément attirées par des créatures sublimes. Le pairing doit être harmonieux. Depuis quand est-ce qu’une femme comme Blueberry, en surpoids, ose rêver un seul instant se parader au bras de quelqu’un comme Malachai ? Elle ne peut pas espérer qu’il ait sincèrement eu envie de l’embrasser. Ça ne colle pas avec le personnage, ni avec toutes les remarques acerbes qu’il a prononcées en tentant de la blesser dans son égo. Pourtant, elle voit bien que le démon n’est pas ravi de son analyse. Elle l’agace, même. Mais qu’y peut-elle ? Auparavant, il n’a jamais montré la moindre attirance pour elle, il est donc logique qu’elle songe à un piège. Blue n’a pas envie de mettre son cœur en jeu si c’est pour que celui-ci soit piétiné et maltraité par une vaste mascarade dissimulée dans un acte de charité parce qu’il faut bien que la grosse connaisse au moins une fois le loup et qu’il y ait quelqu’un qui se dévoue.

Malgré les explications de Malachai sur ce qui l’a poussé à agir, la jolie rouquine a du mal à ne pas se défaire des critiques négatives qu’elle a subi toute sa vie par son entourage. Et puis, cette histoire de femme qu’il a un jour connu a terminé de briser le peu d’espoir qui aurait subsisté en elle qu’il l’ait embrassé pour elle. La réalité du monde est bien trop horrible, et le poison s’insinue un peu plus dans sa tête. Pourtant, Malachai ne se laisse pas démonter et préfère reprendre tout depuis le début. Assise sur son lit, Blue est légèrement mal à l’aise de se trouver installée là où il dort, mais ce n’est rien à côté de son cœur triste. Jamais elle n’aurait pu penser que le démon l’affecterait à ce point. Est- ce parce qu’elle en est venue à l’apprécier malgré son mauvais caractère et son goût un peu trop prononcé pour lui compliquer la vie ? Quand il veut, il sait montrer une facette agréable de sa personnalité, même si ce n’est que quelques secondes sur vingt-quatre heures. Et puis, la demoiselle côtoie tellement peu de personnes dans sa vie, hormis son entourage proche, que Malachai pourrait presque être comparé à un ami - aussi exaspérant soit-il lorsqu’il a décidé d’être de mauvais poil. Lorsqu’il se lance dans ses explications, Blue se surprend à l’écouter religieusement. Il se livre à elle sur l’ensemble de son passé, il ne donne pas l’impression d’occulter un quelconque moment dans sa vie dont des millénaires sont résumés en quelques phrases.

Lorsqu’il a terminé et qu’il prend place à côté d’elle, elle ne sait pas quoi lui dire. Les mots qui s’échappent par la suite, ceux qu’elle n’espérait plus entendre un jour de la part de personne, lui font ressentir une émotion si intense qu’elle ne peut pas refouler les larmes qui débordent de ses émeraudes pour venir couler le long de ses joues. Elle n’en prend conscience que lorsqu’il vient caresser sa joue, puis finalement effleurer sa lèvre inférieure avec la pulpe de son pouce. A cet instant, Blue voit Malachai tel qu’il a un jour été, celui qui se faisait appeler Cassiel et qui a payé pour avoir aimé un jour une femme. Les lois angéliques ne sont pas sa spécialité, sa famille étant plutôt des adorateurs de Satan plutôt que de Dieu. Mais de ce que la rousse sait, les anges n’ont pas le droit de commettre des péchés. Seuls les humains le peuvent et espèrent le pardon de l’Être Suprême. C’est injuste, mais c’est ainsi. Malgré cette mise à nue, la rouquine se rend bien compte que tout ceci n’a pas la même signification pour elle que pour lui. Ils n’ont pas la même vision des choses, alors elle prononce ces mots qui la déchirent et lui font mal, mais dont elle a conscience que c’est pour son bien personnel, pour la préserver d’une douleur inutile. Elle s’attendait à devoir argumenter pour expliquer pourquoi elle veut obtenir la promesse de sa part de ne plus l’embrasser si ces baisers n’ont pas de signification pour lui, mais Malachai accepte même s’il n’a pas l’air de comprendre vraiment les raisons. Elle ressent un vif soulagement qui se mêle au regret de ne plus être embrassée.

Son cœur subit une nouvelle cavalcade lorsqu’il l’attire malgré tout à lui et dépose sa bouche sur la peau de son front. Ses joues se colorent de rouge lorsque le sang afflux en abondance, trahissant l’effet qu’il exerce sur son corps. Lorsqu’elle relève les yeux vers lui, il aborde ce sourire taquin sur le visage, fier de lui et de son geste. Non, c’est vrai, elle n’a rien dit sur ce genre de baiser… Elle n’est pourtant pas certaine d’y survivre davantage. Mais elle ne peut pas penser à tout. Lorsqu’il se lève et saisit sa main pour l'entraîner à sa suite, Blue se laisse faire. Elle a l’impression d’être un peu gourde sur les bords à être ainsi trimballée à gauche et à droite, mais elle n’est pas chez elle et ne peut décemment pas agir comme si c’était le cas. La jeune femme se retrouve ainsi dans le coeur de la maison, sa pièce préférée. Celle de Malachai est mille fois plus moderne que sa petite cuisine qui fait davantage penser à une cuisine de campagne. L’endroit est propre comme un sous neuf et bien avant qu’il ne le lui dise, Blue a compris qu’il ne doit pas beaucoup exploiter l’endroit. Tandis qu’il la laisse là pour aller se servir un verre, ses yeux verts parcourent malgré tout cette pièce et s’arrêtent sur chacune des technologies de pointe qui rendraient sa cuisine bien plus rapide si elle les possédait.

— Oh non, pas besoin, dit-elle. Je… Je sais faire à manger, si quelque chose te fait envie…

Certes, elle est davantage douée en pâtisserie, mais jamais personne n’a eu à se plaindre de ses plats lorsqu’elle se décide à établir un repas complet. Après une gorgée d’alcool, Malachai se rapproche à nouveau d’elle. Elle ne sait pas trop ce qu’il souhaite lui faire, et ça la met mal à l’aise de ne pas réussir à contrer ses approches, ni ce qui traverse son esprit. Le poids de son regard bleuté sur elle fait battre son cœur à un rythme effréné. A tout moment, elle pourrait faire une crise cardiaque s’il continue de la titiller comme ça. Pourtant, malgré cela, il ne la touche pas, alors que tout son derme la démange de l’être. Elle le lui a demandé, après tout.

— Tes placards sont pleins au moins ? demande-t-elle avec un léger doute dans la voix.

A dire vrai, elle n’imagine pas Malachai cuisiner, ni même faire ses courses. D’ailleurs, est-ce qu’en enfer il y a des supermarchés ? Comment est-ce que les démons se nourrissent ? Mangent-ils des aliments humains pour survivre ou bien sont-ils exemptés de la faim et tout ce qu’ils avalent n’est mangé que pour le plaisir ? Tant de questions dont Blue souhaiterait connaître les réponses, mais la manière dont la situation a évolué avec Malachai la freine dans sa diatribe.